vendredi 5 septembre 2014

Le château fort de Becko

Source :slovakia.travel


Le château de Becko s’élevait au sommet d’un rocher si haut que même un oiseau s’épuisa quand il s’y envolait. Il est vrai aussi qu’il n’y avait qu’un seigneur aussi puissant que le voïvode1 Stibor qui avait pu le faire bâtir. Il ne l’avait pas fait construire pour lui-même mais pour le bouffon de sa cour. Celui-ci s’appelait Becko.

Dans la jolie vallée de la rivière Váh2, le voïvode Stibor se comportait comme s’il était un roi, un vrai roi: il était propriétaire des champs et des forêts, peut-être même du ciel qui s’étalait au-dessus. L’homme préféré de ce grand seigneur était Becko, le bouffon.

Un jour, Stibor organisa une grande chasse. Tout le monde y participa. Dans la forêt, le vacarme des cors, des rabatteurs et les aboiements des chiens de chasse retentissaient. Á vrai dire, ce jour-là, Stibor était de bonne humeur. Après la sieste qui suivit la chasse, il appela son bouffon:

«Eh bien Becko, tu peux souhaiter tout ce que tu veux, je te le donnerai.
-Je ne crois pas. Tu promets, mais tu ne donnes jamais rien», répondit brièvement le bouffon.
«C’est incroyable! Jusqu’ici personne n’a osé me parler comme ça! Demande-moi vite quelque chose sinon je vais te faire empaler tout de suite!
-Tu peux trouver des têtes bien plus légères que la mienne! Regarde plutôt là-bas, en face, tu vois le rocher qui est très haut?» dit le bouffon.
«Je le vois, bouffon, je le vois!»  dit le voïvode.
« Si tu le vois, tant mieux. Fais-moi construire un château fort au sommet de ce rocher. Mais j’en voudrais un, tel qui n’ait pas son pareil dans le pays», répondit Becko.
«D’accord, Becko! Serrons-nous la main, et cochon qui s’en dédit! D’ici un an, le château fort sera construit et portera ton nom.»

Les chasseurs et ceux qui entouraient le voïvode, étaient tous ahuris. Le rocher était si haut que les gens avaient le vertige rien qu’en le regardant.

«Il est impossible de construire un château fort là-haut», dirent-ils.

Mais ce que le voïvode Stibor avait promis, il fallait que ce soit accompli quoi qu’il arrive. Il est vrai que pour lui, tout était plus facile que pour les autres. Il n’obligea pas seulement ses serfs à travailler à sa construction mais même un simple voyageur qui passait par là, fut arrêté et dut y porter des pierres pendant une semaine entière. Il employa également une ruse avec ses grands seigneurs: il les accompagna au sommet, et tout au long de la semaine il les régala de bonnes nourritures pendant que leurs serviteurs travaillaient à la construction. Quand la semaine fut terminée, il les laissa partir.

Ainsi fit-il bâtir le château de Becko. Á la date promise, il fut achevé. Il était si beau que les gens des pays lointains arrivèrent pour le voir et l’admirer. Il plaisait beaucoup au voïvode Stibor à tel point qu’après avoir fait un tour dans ses pièces de toute beauté, il dit au bouffon:

«Idiot que tu es, écoute-moi! Ce château est trop beau pour toi! Je te fais une proposition.»
«Vas-y, je t’écoute!» répondit le bouffon.
«Je t’offre un autre château en échange de celui-ci et autant de pièces d’or que tu le souhaites, mais cède-le-moi, je t’en supplie», dit Stibor.
«D’accord! Serrons-nous la main, et cochon qui s’en dédit! Marché conclu!» dit le bouffon.

A partir de ce jour, Stibor habita là, ses hôtes, arrivés des quatre coins du monde, y étaient accueillis. Il partait de là en guerre et à la chasse, et quand il était de retour, il faisait une si grande fête que la nouvelle se répandait partout, même dans les pays lointains. Mais il ne put pas s’émerveiller longtemps du château.
Un jour, l’un des vieux serviteurs de Stibor frappa le chien de chasse préféré du voïvode. Quand celui-ci le vit, il se mit dans une terrible colère contre son serviteur. Celui-ci le supplia de ne pas être puni mais il n’y avait rien à faire, Stibor le fit jeter dans le précipice le plus profond du château fort. Avant de tomber, le vieux serviteur s’écria:

«Attends, Stibor, toi qui es sans cœur! D’ici un an, tu me suivras devant le Juge éternel!»

Stibor rit bien des paroles du vieillard et les oublia tout de suite. Un an après, jour pour jour, il avait des invités et les paroles menaçantes de son serviteur lui revinrent à l’esprit.

«Eh, des paroles insensées!» se dit-il.
«Mes amis! Trinquons!» s’écria-t-il.

Il en fut ainsi. Stibor buvait beaucoup de boissons alcoolisées qui lui donnèrent le vertige. Il en était effrayé car cela ne lui était jamais arrivé. Il sortit dans le parc pour que le vent doux de la nuit dissipe son ivresse. Il se coucha sur le gazon près d’un buisson et regarda la voûte étoilée. Mais, Seigneur, qu’arriva-t-il! Deux serpents sortirent du buisson, ils sinuèrent autour de la tête de Stibor, et lui crevèrent les yeux. Celui-ci poussa des cris comme un animal sauvage et courut comme un fou: passant par le parc, il traversa la cour, il monta ensuite au plus haut de son château, comme son vieux serviteur il y a un an. Stibor fit une chute dans l’abîme au même endroit que son domestique.

C’est ainsi que la vie du voïvode Stibor se termina. Sa femme est en deuil aujourd’hui encore, assise sur un petit rocher en-dessous du château fort.

1 le voïvode : le commandant d’une région militaire
2 le Váh est la plus longue rivière de la Slovaquie