dimanche 6 janvier 2013

L'homme est le plus fort

Conte imaginé par Endre Stankowsky



Un loup se traînait tristement dans la forêt. Queue et oreilles baissées, le regard rivé au sol. Il ne s’aperçut même pas qu’un ours venait en face.  Il leva la tête effrayé, seulement quand l’ours le salua :
«Bonjour, Messire Loup.
- Bien le bonjour, Compère Ours, répondit tristement le loup.
- Qu’est-ce que tu as? Tu as l’air si peiné!
- Ne m’en parle pas, Compère Ours ! Ne vois-tu pas que ma tête, mon cou, mon flan sont pleins de sang?
- Tiens, c’est vrai…Messire Loup, t’es-tu bagarré avec un autre loup?
- Mais non, mais non. Je suis tombé sur un homme et il m’a joué un vilain tour. Il m’a bien secoué!»

L’ours rit de bon cœur.
«Tu n’as pas honte, Messire Loup. Un homme te pose problème? Il ne me suffirait pas pour me rassasier!»

Le loup répliqua :
«Ne te crois pas si malin, Compère Ours! Je suis convaincu que l’homme est la bête la plus forte au monde. Je le sais par expérience.
- Comment cela?
- Simplement je suis allé au village dans l’espoir de tomber sur un morceau d’agneau rôti. Mais par malheur, le chien m’a vu, et bien que nous soyons en parenté, il a révélé ma présence à son maître… à l’homme. Celui-ci, quand il a entendu l'aboiement, est sorti de la maison avec une hache. Avec son arme, il m’a tellement battu que j’ai eu du mal à déguerpir.
- Je te dis quand même, insista l’ours, que je ne ferai qu'une bouchée de l'homme.
- Moi, j’insiste à mon tour, et je te dis que l’homme est la bête la plus forte.
- Je voudrais bien voir ça!
- Tu en auras l’occasion!»

Sur ce, l’ours arracha un buisson et il en fit des petits morceaux.
«Regarde, Messire Loup, ce que je réserverai comme sort à l'homme!
- A qui le dis-tu! Seulement l’homme ne se laisse pas faire comme le buisson.
- Qu’il se laisse faire ou pas, de toute façon je le déchiquetterai!
- Je n’y crois pas.
- Parions!
- Tope là!
- De bon cœur!»

Ils parièrent un lapin, et ils se retirèrent derrière un buisson en attendant l’arrivée de l’homme. Ils restèrent longtemps à le guetter jusqu’à ce qu’un enfant passe par là. L’ours demanda:
«C’est un homme, Messire Loup?
- Non.
- Alors quoi?
- Ce sera un homme…»

Ils continuèrent à attendre, à guetter. A un moment, un vieux mendiant passa par là.
«Est-ce un homme, Messire Loup?
- Non.
- Alors quoi?
- C'était un homme…», dit le loup.

Le temps passait, ils attendirent, ils attendirent, d’un seul coup un hussard à cheval arriva.
«Alors, celui-ci est-il un homme? demanda l’ours.
- Oui, lui, il en est un!», dit le loup.

L’ours ne se le fit pas dire deux fois, il sauta de derrière le buisson et se mit sur le chemin du hussard.
«Dis donc! cria le hussard. Sors de mon chemin. Je suis du régiment du roi!»

Il eut beau dire et faire, l’ours ne remua pas. Sur ce, le hussard dégaina de son pommeau un pistolet à deux canons, et pouf paf! tira deux fois sur l’ours. Il fut touché deux fois, mais cela ne lui fit rien du tout! Comme si on lui avait jeté deux pommes sauvages, il ne bougea pas, il secoua seulement un peu sa fourrure.
«Arrêtons-nous un instant, cria le hussard, moi, je vais te raser!»

Il dégaina son épée bien tranchante et le frappa plusieurs fois. C’était largement suffisant pour l’ours! Celui-ci prit la fuite en poussant des rugissements épouvantables. Il ne regarda ni à gauche, ni à droite, courut par monts et par vaux, comme si on lui avait arraché les yeux. Il ne s’arrêta qu’arrivé dans sa grotte.
Il fallut longtemps pour qu’il puisse se remettre debout et qu’il en sorte.
Une fois remis, il alla faire un tour et rencontra le loup!
«Alors, Compère Ours, dit le loup, c’est moi qui ai gagné le pari!
- Tu l’as gagné, c’est vrai! Ne t’inquiète pas dès que je me ressaisirai, je t’apporterai un lapin.
- Alors, es-tu d’accord avec moi pour dire que c’est l’homme qui est la bête la plus forte?
- Tu as raison, Messire Loup. C’est l’homme qui est la bête la plus forte! Je n’aurais jamais cru que je serais humilié à ce point-là! Quand je me suis rendu compte de ce qu’il m’avait fait, il m’avait déjà frappé deux fois. Cela ne me fit pas très peur mais quand il dégaina sa langue brillante et qu’il commença à me lécher avec elle, ce fut loin d’être une plaisanterie. Il vaut mieux être lâche une fois que mort pour le reste de la vie!»

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